En cuisine, elles donnent du goût, donc du sens. Sans les herbes de Provence, pas de happy end pour les grillades, les poissons, les sauces : la fin de l’histoire est insipide, sans saveurs. Pour me mettre au parfum, j’ai quitté Aix-en-Provence et j’ai rejoint une coopérative à Trets où des producteurs passionnés et passionnants donnent à la flore provençale ses lettres de noblesse.  

Herbes de Provences

“Avant d’écrire, il faut sentir”. Luc Justamon est habitué au visiteur citadin, ce phénomène étrange qui, dans un champ de plantes aromatiques, pense sans son nez. Dans un sourire amusé et bienveillant, le président de la coopérative des Aromates de Provence m’invite à respirer. Le récit viendra après. Ça ressemble furieusement aux conseils de mon professeur de yoga (“Posture de l’arbre, ouvrez la poitrine, inspirez, expirez. Vous vous ancrez dans la verticalité”). Plantée au milieu d’un tapis de sarriette, mes bonnes intentions à portée de carnet, je réponds à l’injonction olfactive du mieux que je peux : je ferme les yeux. 

© © CYRIL ENTZMANN - DIVERGENCE

Raconter les herbes de Provence, c’est réparer une petite injustice ; de celles qui se dissimulent si bien dans le quotidien qu’on n’y prête plus attention. Les plantes aromatiques n’apparaissent jamais en haut de la liste et pourtant, une seule vous manque et la recette perd de l’intérêt. Membres de la confuse famille des condiments, elles sont parfois méconnues, souvent confondues. Alors, mettons les herbes dans le plat : de quoi parle-t-on ?“Ici? d’encensier, de pistou et de pèbre d’ase. Chez vous, de romarin, de basilic et de sarriette”. Les mots comme prolongement d’un territoire.  Dans la garrigue aride et rocailleuse qui serpente jusque sur les pentes de la montagne Sainte-Victoire, le promeneur attentif et avisé pourra également trouver du thym, du cerfeuil,  de l’estragon,  de la livèche, du laurier-sauce et du fenouil. La terre est sèche et généreuse, sous un soleil brûlant, elle exhale et inspire ceux qui la foulent. Pour le comprendre, il faut voir le plaisir de Laurent Depieds lorsqu’il froisse entre ses mains les feuilles de la sarriette : “vous avez senti cette odeur poivrée et piquante?”. L’enthousiasme de ce producteur va crescendo lorsqu’il nous parle de son  “frigoule” qu’il cultive sur 60 hectares. Il n’a certainement pas choisi le thym par hasard : les Grecs lui attribuaient déjà des vertues stimulantes. C’est avec une joie aussi vivace que sa plante qu’il évoque son nom programmatique (“thy” en grec signifie “exhaler une odeur”), son harmonieuse inflorescence (“ en forme d’épi”), ses multiples couleurs (“nuances de roses et de blanc et de gris selon les saisons”), son tendre symbolisme (“au Moyen-Age, les femmes le brodaient sur des mouchoirs qu’emportaient leurs époux aux combats”), sa patiente récolte (“à la main”) et son IGP. 

© © CYRIL ENTZMANN - DIVERGENCE

Un thym couronné 

Sept ans ont été nécessaires aux membres de la coopérative pour faire valoir la spécificité et la qualité de leur production. En février 2018, la Commission Européenne a dressé des lauriers au “thymus vulgaris”, en lui attribuant une IGP. Première étape rassurante, quand on sait que 70 % des herbes dites “de Provence” sont cultivés bien loin d’ici. La production de Laurent et d’une quarantaine d’autre producteurs bénéficie depuis du fameux logo qui “garantit non seulement un territoire de culture, mais aussi une façon de cultiver, de récolter et de sécher”.  Pour prouver que tous les thyms ne se valent pas, et rendre à la Provence ce qui lui appartient, la Coopérative a eu recours à un herboriste. L’homme a déterminé dans la plante un taux élevé de carvacrol, “ qui donne son goût puissant et piquant”. Le climat provençal, sec et venteux, contribue à la singularité de la flore. Là où des températures clémentes n’engendrent qu’une plante  douce (“sans intérêt”) , la chaleur et le mistral font grimper le taux d’huile essentielle du thym de Laurent.  

© © CYRIL ENTZMANN - DIVERGENCE

Un bouquet garni et labellisé  

“Ne parlez pas que de moi surtout, toute la coopérative fait un boulot formidable” : joignant le geste à la parole, Laurent m’entraîne jusque dans le bâtiment qui abrite les machines de tri et de séchage. J’ai à peine le temps d’apprécier l’odeur de plante qui embaume du sol au plafond que Laurent me tend flyers et brochures tout en lançant un court reportage consacré à la coopérative. Je retrouve dans les images mon champ de sarriette, le fameux thym, la cueillette (“vous voyez, c’est à la main”), la ventilation à froid des herbes (“pour préserver leurs saveurs”), le battage des plantes et des tiges (“pour enlever les impuretés”), puis leur nettoyage. Vient le moment du bouquet garni “26 % de sarriette, 26 % origan, 26 % de romarin, 19 % de thym, et 3 % de basilic”. La recette est précise, l’équilibre rigoureux, le Label rouge. Aux cuisiniers, Denis et Laurent veulent offrir l’intensité de cette Provence dont ils ne se lassent pas de vanter les mérites et la beauté. L’hommage ne se lit pas, ne se voit pas, ne s’entend pas : il se sent. J’avais identifié la beauté des paysages, la puissance des couleurs, le bruit des cigales, je repars de Trets avec une attention toute nouvelle pour l’air ambiant.  

© © CYRIL ENTZMANN - DIVERGENCE

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