Depuis une vingtaine d’années que j’écris sur le vin, une expression revient de plus en plus souvent à longueur de conversations bistrotières et de commentaires sur telle ou telle cuvée – et pas seulement à propos des rosés-piscine : « vin de soif »… Nul sarcasme de ma part, puisque je l’emploie moi-même à tout va. Mais pour dire quoi au juste ? À la faveur de l’automne, un décryptage s’impose.
L’expression est souvent accompagnée d’autres termes comme « buvabilité » ou « digestibilité » voire « glouglou », mots qui collent à la peau des jajas nature. En gros, elle qualifie des vins légers, peu forts en alcool, facilement accessibles, de plaisir immédiat, à déboucher à l’envi, à table ou à l’apéro. Pas le genre donc à vous épuiser dès la moitié du deuxième verre. Quoique ! Sous prétexte de faire un breuvage de soif, certains vignerons oublient qu’ils font du…vin.
Résultat ? Des jus caricaturaux qui finissent par ressembler à du sirop de grenadine avec beaucoup d’eau. Personnellement, ce côté bonbon acidulé me lasse dès les premières gorgées… Je n’aime pas la grenadine, je n’aime pas non plus, à l’autre bout du spectre, les vins démonstratifs, forts en gueule et bodybuildés.
Ceux dont l’examen olfactif suffit à vous éreinter d’un excès d’alcool et d’un boisé excessif et qui, une fois en bouche, vous achèvent de leur écrasante volonté de domination. Artillerie trop lourde… Vite un verre d’eau !
Certains vignerons oublient donc parfois qu’ils font du vin et d’autres en omettent clairement la notion désaltérante. Si, aujourd’hui, quelques-uns continuent de cultiver ces extrêmes, il m’arrive, très régulièrement, de rendre visite à des vignerons qui corrigent le tir. Notamment dans le Sud ; le Languedoc, en particulier. Pour exister sur la scène viticole, cette région avait fini par sortir les muscles au tournant des années 1990-2000.
Désormais, vous pouvez pousser la porte d’un domaine avec le souvenir de vins démesurément costauds et, là, quelques millésimes après votre première visite, être cueilli(e) par leur élégance, leur fraîcheur, leur fluidité qui n’entravent en rien, bien au contraire, l’expression sincère du terroir et du raisin. Ainsi va le domaine Bordes, du côté de Saint-Chinian. Les vins étaient déjà bons il y a dix ans, mais un peu trop chaleureux à mon goût.
Aujourd’hui, sans perdre leur âme ni leur identité, ils ont gagné en précision et en définition… Superbe ! L’inverse peut subvenir aussi. Vous retournez dans une propriété avec en mémoire un arrière-goût de grenadine et vous vous apercevez que le vigneron ou la vigneronne a mis un peu de vin dans son eau pour faire dire à ses cuvées autre chose que le goût du « bonbec ».
Bref, comme souvent dans le vin, tout est question d’équilibre… Et, vu les bouteilles que « mon » excellent caviste vend tous les jours à ses ouailles, je ne suis pas tout seul à partager ce point de vue : la dimension désaltérante du vin est essentielle, sa capacité à raconter son terroir aussi. Et les deux ne sont surtout pas antinomiques. La preuve, avec la cuvée Aramonix du domaine Mont-de-Marie, dans le Gard, ou les vins de Pauline Broqua, dans l’Aveyron. Autant de « vins de soif » profonds : mon graal.
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