Le vignoble champenois est à la fois animé par des petits domaines et des grandes maisons. A priori, tous les opposent. A posteriori, rien de si évident. Chacune de ses deux « familles » sait ce qu’elle doit à l’autre. Explications.
Quoi de commun entre un « petit » vigneron qui s’échine sur une poignée d’hectares pour mettre en bouteilles ses cuvées à quelques milliers d’exemplaires et une maison majeure qui distribue sur le marché planétaire des millions de quilles chaque année ? Voilà l’une des réalités du vignoble champenois : des structures et des gens très différents. Pour résumer, il existe environ 16.000 vignerons dans la région : les deux tiers vendent leurs raisins au négoce et seulement un tiers, les récoltants-manipulants, élaborent et commercialisent ses propres champagnes. La grande famille des maisons de champagne compte, elle, environ 350 membres : si certains possèdent des vignes – mais jamais assez pour satisfaire leurs immenses besoins -, tous pratiquent le négoce, en achetant les raisins de viticulteurs qui trouvent là un revenu suffisant pour vivre très correctement.
Vignerons vs négociants
Une multitude de critères inciterait volontiers à pousser le curseur de l’antagonisme entre « petits » récoltants-manipulants et maisons de champagne. Ici, le faste de sièges sociaux des plus prestigieux installés sur l’avenue de Champagne, à Épernay, comparé à la modestie de l’architecture des exploitations familiales. Là, la volonté des premières de produire des champagnes de marque, avec un style bien défini, destiné à plaire au plus grand nombre, quand les vignerons, eux, font plutôt le pari de l’expression du terroir et du millésime. Il y aurait donc un gouffre entre les maisons de champagne et les simples domaines. De sorte que les unes et les autres habiteraient la même planète, sans se côtoyer. Même si elle n’est pas totalement erronée, une telle description tient aussi de la caricature. Apportons donc un peu de nuance…
Les maisons à l’origine d’un succès mondial
D’abord, toutes les maisons ne sont pas gigantesques : certaines ne sont pas loin de ressembler à de « grands » domaines. Ensuite, ces deux univers se nourrissent l’un l’autre. Ainsi, nombre de vignerons ont bien conscience que ce sont les grandes maisons de Champagne qui ont fait connaître des bulles 100% locales dans le monde entier et admettent volontiers qu’ils profitent de cette notoriété incomparable. Et ce n’est pas tout…
Le terroir grâce aux vignerons
Depuis une dizaine voire une quinzaine d’années, une notion quelque peu oubliée ici refait son apparition avec force : le terroir ! Longtemps, la région s’est satisfaite d’une viticulture peu exigeante et de raisins corrects. Était alors confié aux maîtres de chai le soin de « transformer le plomb en or » grâce au travail en cave, comme l’assemblage de cépages et de vins de différentes années. Et voilà qu’une poignée de vignerons pionniers, tel Anselme Selosse, Sophie et Pierre Larmandier ou encore la famille Fleury, remet le terroir sur le devant de la scène. L’idée forte ? Favoriser son expression, grâce à une viticulture poussée, plus respectueuse encore de l’environnement, de la plante et du fruit, visant à récolter des raisins très sains et représentatifs du terroir concerné et, ensuite, en cave, à ne pas trahir leur tempérament. Et ça marche ! Succès retentissant chez les cavistes comme sur les cartes des vins des restaurants étoilés, autrefois chasse gardée des grandes maisons champenoises. Au point que certaines de ces dernières commencent à composer avec cette notion de terroir. Le mouvement est encore timide mais existe bel et bien, à la suite de grands noms comme Philipponnat ou Krug.
Des preuves parmi d’autres que, tout en gardant leur identité et en se nourrissant mutuellement, petits vignerons et maisons de champagne participent à l’évolution positive du plus célèbre des vignobles à bulles.
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